Découverte de dioxine dans des oeufs à Besançon
Article paru dans Le Figaro, rubrique Science et Médecine, le 15 juin 2006, par Yves Miserey.
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L'autoconsommation des oeufs provenant de poulaillers domestiques est provisoirement interdite à proximité d'un incinérateur.

Des oeufs collectés dans trois poulaillers domestiques en plein air se trouvant dans la zone située sous le panache de l'usine d'incinération des ordures ménagères de Besançon (Doubs) contiennent des taux de dioxine supérieurs aux normes, et même très nettement supérieurs à la teneur maximale autorisée dans le secteur le plus exposé, au nord-est de l'installation. Les dioxines sont des produits chimiques toxiques essentiellement formés lors de combustions incomplètes, qui s'accumulent dans les graisses tout au long de la chaîne alimentaire.

«J'ai tout de suite alerté la préfecture, la mairie et la direction régionale des affaires sanitaires et sociales», confie Jean-François Viel, épidémiologiste à l'université de Besançon (Doubs). Il avait financé ces analyses dans le cadre des recherches qu'il mène avec son équipe depuis huit ans sur l'impact sanitaire des rejets de l'incinérateur bisontin et il a été le premier surpris de ces taux. En effet, l'incinérateur de Besançon respecte les nouvelles normes de rejet rendues obligatoires depuis le 28 décembre 2005.

Les analyses ont été effectuées par un laboratoire lyonnais agréé par le ministère de l'Agriculture. Hier, lors d'une réunion à la préfecture, il a été convenu d'en réaliser de nouvelles pour vérification. Les services vétérinaires vont également essayer de déterminer avec précision les causes de la contamination (les incinérateurs ne sont pas l'unique source de dioxines). Les résultats devraient être connus dans un ou deux mois. En attendant, les propriétaires des poulaillers vont devoir renoncer à manger les oeufs de leurs poules.

Le scandale suscité par les rejets de dioxines des incinérateurs de Gilly-sur-Isère (Savoie), Gien (Loiret) et Maincy (Seine-et-Marne) avait déjà amené l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire et des aliments) à s'interroger sur tout ce qui pouvait contribuer à aggraver la contamination en dioxines des oeufs produits dans des élevages de plein air de particuliers. Dans une étude rendue publique en décembre 2005, l'Afssa cite notamment l'apport de cendres de bois traité au sol pour renforcer la solidité des coquilles, la nourriture donnée par terre plutôt que dans une mangeoire, le fait de donner des épluchures de fruits ou de légumes non lavés et donc contaminés, le fait que les animaux restent longtemps à l'extérieur, etc.

Pollution longue durée. 

En conclusion, les experts évoquaient l'hypothèse que si l'on arrivait à fixer des seuils de concentration de dioxines dans les sols, on pourrait parvenir à savoir si, dans ces zones, l'élevage de volailles en plein air et la consommation des oeufs est sans danger. Le problème est complexe, car les dioxines ont une longue durée de vie dans les sols et, dans le passé, les rejets ont été largement plus abondants qu'aujourd'hui.

«Si on avait cherché en aveugle, on n'aurait sans doute rien trouvé», note Jean-François Viel. Après huit ans de travaux sur l'impact sanitaire de l'incinérateur de Besançon, l'équipe qu'il dirige accumule les résultats. En 2000, ils ont mis en évidence un excès de cancer des ganglions (lymphome malin non hodgkinien) à proximité de l'installation. Deux ans plus tard, ils ont calculé que le risque de développer un cancer des ganglions est 2,3 fois plus élevé pour les habitants de la zone la plus exposée aux retombées de dioxines que pour ceux résidant dans le secteur le moins exposé. Ils viennent de démontrer (1) que les sols les plus contaminés se trouvaient au nord-est de l'usine, là justement où les lymphomes sont les plus nombreux et où les oeufs contiennent des taux élevés de dioxines. Il faut aller voir sur le terrain et s'intéresser de près aux habitudes de vie locales chacun et notamment à l'alimentation des populations, principal facteur de contamination. C'est la principale leçon de cet épisode inattendu survenu hier.

(1) Environmental Science and Technology, vol. 40, n°7, 2006