Incinérateurs et à travers
Article paru dans le Canard enchainé du 10 octobre 2007
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Au "Grenelle de l'environnement", les associations d'écolos ont proposé un moratoire sur les incinérateurs. Fumeux?

C'est pourtant bien pratique, les incinérateurs: on peut continuer à produire des déchets à jet continu (1 kilo par jour et par Français). Et les voilà tous réduits en cendres! Enfin, presque: les 134 incinérateurs traitent 43 % de nos déchets. Le reste est entassé dans 312 décharges. Continuons donc à en installer. Rattrapons le Japon, premier au monde. Et n'écoutons pas ces écolos empêcheurs d'incinérer en rond...

Un moratoire sur les incinérateurs: au Grenelle de l'environnement de Borloo, cette revendication de l'Alliance pour la planète (qui regroupe 80 associations, dont WWF et Greenpeace) a failli passer à la trappe. Ce n'est qu'après deux réunions de dernière minute qu'elle a réussi à figurer dans la liste des « principales mesures » potentielles qui seront discutées fin octobre. Mais, comme elle « fait débat », ses chances sont proches de zéro. Pourquoi les écolos veulent-ils un moratoire ?

Pollution
Ils sont moins polluants qu'avant: après des années de n'importe quoi, tous les incinérateurs français ont été mis aux normes européennes (ce qui, pour certains, a doublé leur coût de fonctionnement). Depuis le 28 décembre 2005, ils doivent dégager moins de 0,1 nanogramme de dioxines par mètre cube de fumée.
Mais, remarque Sébastien Lapeyre, du Cniid (Centre national d'information indépendante sur les déchets), si d'un côté la concentration en dioxines baisse, de l'autre « la capacité des incinérateurs ne cesse d'augmenter » ! De plus ils ne brûlent pas tout, et recrachent des résidus souvent hautement toxiques. Or, comme vient de le signaler le Gesdi, un groupe de médecins et de scientifiques, ces résidus sont utilisés sous forme de mâchefer pour faire des routes et des remblais. Une dissémination pas vraiment recommandable. Attention à «ne pas refaire l'erreur de l'amiante » («Le Figaro», 5/10)...

Risques
De plus, ajoutent ces observateurs, les fumées ont beau être aux normes, elles ne sont quand même pas terribles. Ils dressent ainsi un inquiétant état des lieux des effets de l'incinération sur la santé humaine, l'accusant d'être à l'origine de « malformations congénitales, de dysfonctionnements de la reproduction et de cancers... ». Et ils rappellent que, voilà moins d'un an, l'INVS (Institut national de veille sanitaire) publiait un rapport alarmant sur l'incidence des cancers apparus à proximité d'incinérateurs entre 1990 et 1999.

Démocratique ?
Comme c'est bizarre: personne n'aime l'idée de vivre près d'un incinérateur. Quand la population est consultée, elle s'exprime contre les projets, en des pourcentages bien supérieurs à ceux obtenus par Chirac en 2002. Par exemple, le 15 janvier 2006, l'incinérateur de Fos-sur-Mer a recueilli 97,8 % des voix contre lui lors du référendum local (cela n'a d'ailleurs pas empêché le chantier de commencer quelques mois plus tard).
Du coup, comme le reconnaît l'Ademe, l'agence gouvernementale spécialisée dans l'énergie, «les projets d'incinérateurs sont le plus souvent décidés sans concertation avec les populations et les associations locales ». Les maires le savent bien, l'incinérateur, personne n'en veut, c'est une patate chaude qu'on se refile de commune en commune.
Comme l'a précisé en mars dernier un autre rapport commandé par le ministère de l'Ecologie: «Compte tenu des prochaines échéances électorales, et notamment des élections municipales de 2008, le marché français de la construction d'incinérateurs ne devrait offrir à court terme aucune opportunité de commande. » Qu'en termes choisis ces choses-là sont dites...

• Argent
Sans compter que ce n'est pas donné, les machines à fabriquer des cendres ! Il faut entre 150 et 300 millions d'euros au bas mot. Ce qui aiguise de multiples appétits... « Cela représente souvent l'investissement le plus élevé des collectivités locales, note Daniel Richard, président du WWF France. Il serait intéressant de connaître de façon limpide comment les marchés sont attribués. » Et de réclamer la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire sur la question : on peut rêver...
Les exploitants, eux (il y en a trois qui se partagent le marché : Suez, Veolia et Tiru), rêvent d'une astuce extrêmement juteuse : ils voudraient faire reconnaître les incinérateurs comme un moyen de valoriser et non d'éliminer les déchets. Ainsi l'électricité produite par les matières brûlées serait considérée comme une énergie verte... et EDF aurait l'obligation de la racheter avec un tarif préférentiel !

Devinette
Des écolos qui veulent un moratoire et du trio de géants (Suez, Veolia et Tiru) que cette proposition horrifie, qui va l'emporter au Grenelle ?

Professeur Canardeau